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La santé psychique en tant que facteur central dans le traitement du VIH
Ruedi Lüthy Foundation

La santé psychique en tant que facteur central dans le traitement du VIH

Ruedi Lüthy Foundation - Les jeunes ont souvent du mal à gérer leur infection par VIH et à assumer l'obligation de suivre à vie un traitement antirétroviral. Un soutien et un suivi étroits doivent par conséquent être mis en place pour garantir la continuité du traitement. Pour accroître l'efficacité de la lutte contre le VIH, il est essentiel de comprendre les besoins de cette population-clé en matière de soins de santé et d'y répondre de manière globale. Étude de la Ruedi Lüthy Foundation sur l’adhésion thérapeutique chez des adolescents et jeunes adultes positifs au VIH. (Photo: Ce n'est souvent que lors de leur première session thérapeutique que les jeunes osent aborder le sujet de leur séropositivité © Patrick Rohr / Ruedi Lüthy Foundation)

Ils tombent amoureux pour la première fois, testent les limites et sont bien décidés à vivre comme bon leur semble. Les jeunes traités à la Newlands Clinic ne font pas exception à la règle ; mais dans leur cas, les problématiques auxquelles sont habituellement confrontés les gens de leur âge sont encore plus complexes. Non seulement sont-ils séropositifs et devront-ils suivre toute leur vie un traitement antirétroviral (ARV) - avec tout ce que cela implique comme stigmatisation - mais ils sont également bien souvent confrontés à des conditions de vie extrêmement difficiles. Nombre d'entre eux ont vu leurs parents mourir du SIDA et vivent dans des institutions ou chez d'autres membres de leur famille. À cela s'ajoutent des perspectives d'avenir limitées, conséquence de taux de chômage élevés.

À la Newlands Clinic, ces jeunes bénéficient d'un suivi médical, mais sont également traités avec douceur et avec respect. En plus de leurs médicaments contre le VIH, on veille à leur assurer un apport élevé en vitamines afin qu'ils restent en forme. La clinique leur vient également en aide s’ils n’ont pas d’argent pour se nourrir ou aller à l’école. Grâce aux soins personnalisés dispensés par l’équipe de soignants, l'espoir et la confiance peuvent renaître au sein de cet espace sûr, où les jeunes peuvent faire part de leurs difficultés et partager les bonnes nouvelles.


À la Newlands Clinic, un groupe d'adolescents se réunit pour discuter dans un espace dédié. Photo: © Patrick Rohr / Ruedi Lüthy Foundation

 

Faire face à un traitement à vie

Cette relation de confiance revêt une importance particulière à l’adolescence : en effet, les jeunes entrevoient alors tout ce qu'implique leur séropositivité, et notamment le fait qu’ils devront suivre à vie un traitement antirétroviral.

Lorsqu'on interroge les jeunes à propos du VIH, leurs témoignages, implacables, disent la difficulté de vivre avec le VIH : « Le VIH, c'est la mort » / « On ne sert à rien » / « On est exclu et abandonné » / « Il n'y a plus d'avenir ». L'angoisse suscitée par l'avenir compromet les chances de réussite du traitement.

Les jeunes s'interrogent sans cesse : « Vais-je pouvoir me marier ? » / « Mes enfants seront-ils eux aussi porteurs du VIH ? » / « Quelle sera la réaction de ma petite amie ou de mon petit ami si elle/s'il apprend que je suis séropositif/-ve ? ».

Il n'est pas rare que les jeunes cessent, à un moment donné, de prendre leurs médicaments régulièrement - le plus souvent, parce qu'ils ne bénéficient pas d'un soutien adéquat, ou parce qu'ils perdent espoir ou se laissent submerger par l'anxiété. Or, toute non-observance peut avoir des conséquences désastreuses, le virus pouvant alors se répliquer rapidement et devenir résistant au traitement. Si la charge virale du VIH met en évidence une prise en charge insuffisante, il faut impérativement agir.

 

La prise en charge ne se réduit pas à la prise de comprimés

Dans le cas des jeunes atteints d'une maladie chronique, il ne faut pas se contenter d'informer sur les ARV et l'observance thérapeutique et de délivrer des médicaments. En effet, bien que les bienfaits des ARV en termes d'amélioration de l'état de santé global et de la qualité de vie soient bien connus, les professionnels de santé peinent encore à faire en sorte que les jeunes suivent rigoureusement leur traitement. À l'échelle mondiale, le nombre de décès causés par le VIH chez les adolescents a augmenté de 50 % entre 2005 et 2012. Cette explosion, qui n'a pas été observée dans les autres tranches d'âge, s'explique en grande partie par le fait que l'aide à l'observance apportée aux jeunes est insuffisante et que leur temps de séjour dans les centres de soin est trop court. D'où la nécessité de mieux comprendre le défaut d’observance chez les jeunes et de favoriser les actions socio-sanitaires ciblées sur leurs besoins d'aide en la matière.

La mise en œuvre de ce type d'approches est indispensable dans les pays d'Afrique subsaharienne, où vivent environ 80 % des 2,1 millions d'adolescents séropositifs dans le monde. Au Zimbabwe, qui est l'un des 22 pays les plus touchés par le VIH, les jeunes sont l'une des populations-clés sur lesquelles doivent porter ces actions socio-sanitaires. C'est précisément la raison pour laquelle la Newlands Clinic a mis en place à titre expérimental un dispositif conçu pour améliorer l'observance, et baptisé Enhanced Adherence Counselling Group Intervention (EACGI). L'EACGI reposait sur une approche en matière de santé mentale ciblant les jeunes âgés de 13 à 25 ans qui présentaient une faible observance des ARV et étaient en situation d'échec virologique (EV).

Adolescents en train de faire du bricolage. Grâce à cela, ils ont la possibilité de gagner quelques dollars. Photo: © Patrick Rohr / Ruedi Lüthy Foundation

Présentation de l'EACGI

Le dispositif consistait en un programme de 12 semaines, basé sur des séances hebdomadaires d’une heure et demie et pouvant accueillir de 8 à 15 personnes par groupe. La participation au programme faisait partie des soins de base ; l'objectif était de faciliter le passage à un traitement antirétroviral de deuxième intention et d'améliorer l’observance grâce à des méthodes issues de la phénoménologie, des entrevues motivationnelles et de la thérapie cognitivo-comportementale. Chaque patient était suivi par une infirmière-conseil régulière, chargée d'encadrer le traitement ARV et d'orienter les patients nécessitant une aide et des conseils plus poussés en matière d'observance. Les charges virales ont été mesurées avant et après l'EACGI et 3, 6, 9 et 12 mois après le passage au traitement de deuxième intention afin d'évaluer les résultats virologiques.

 

Résultats de l'étude

Cinquante-neuf patients âgés de 13 à 25 ans ont été invités à participer à l'EACGI et suivis pendant 46,8 années-personnes. 34 (soit 57,6 %) d'entre eux étaient de sexe féminin. La durée médiane du traitement antirétroviral de première intention était de 6 ans (écart interquartile : 4 - 8) au moment de l'invitation à participer à l'EACGI. Vingt-deux patients (soit 37,3 %) n’ont assisté à aucune des séances ; 8 de ces patients étaient de sexe féminin et 14, de sexe masculin. Les principales raisons invoquées pour justifier ces absences systématiques étaient un manque d'intérêt, des obligations scolaires ou des obligations professionnelles. Chez les patients ayant assisté aux séances, les principales raisons invoquées pour justifier la non-observance thérapeutique étaient le désespoir, des dysfonctionnements familiaux, l'absence de signes de maladie, l'aversion pour une routine quotidienne associée à une stigmatisation, et les effets secondaires du traitement. Parmi les patients ayant assisté à > 75 % des séances, 76 %, 94 %, 94 % et 100 % avaient enregistré une suppression virale à 3, 6, 9 et 12 mois du début du suivi, respectivement. Contre 50 %, 55 %, 55 % et 50 % chez ceux ayant assisté à au moins une séance mais ≤ 75 % des séances. Les patients n'ayant assisté à aucune séance avaient enregistré des taux de suppression virale de 32 %, 41 %, 41 % et 39 %, respectivement. 22 patientes et patients (37,3 %) n’ont fréquenté aucunes séances thérapeutiques (8 patientes, 14 patients). Les principaux motifs pour cette absence étaient le manque d’intérêt ainsi que des dates se chevauchant avec l’école ou le travail.

Graphique : Taux de suppression en fonction de l’assiduité aux séances

Axe Y: patients avec suppression complète de la charge virale
Axe X: 3/6/9/12 mois // après avoir terminé la thérapie de groupe

 

Conclusion : Des stratégies innovantes sont essentielles

Les jeunes ayant assisté à plus de 75 % des séances du programme EACGI ont obtenu de meilleurs résultats virologiques que ceux ayant assisté à un nombre plus réduit de séances, ou n'ayant assisté à aucune séance. Il ressort des résultats que le désespoir, les dysfonctionnements familiaux, l'absence de signes de maladie, l'aversion pour une routine quotidienne associée à une stigmatisation et les effets secondaires du traitement ont contribué à réduire l'observance thérapeutique chez les jeunes qui ne prenaient pas leur traitement ARV. À l'adolescence, la vie ne se résume pas à la prise quotidienne de médicaments.

L'élaboration des stratégies de soins et de prise en charge des personnes séropositives doit tenir compte de l'environnement personnel et de l'état psychique des jeunes, souvent marqués par le deuil, la conscience accrue d'une espérance de vie réduite, la stigmatisation et les discriminations, les perturbations de la sexualité et les incertitudes liées à la scolarité et aux perspectives de carrière.

Les soins doivent être pensés selon une perspective nouvelle. Le profil psychologique et les priorités d'un jeune séropositif ne sont pas les mêmes que ceux d'un patient adulte. Les adolescents eux-mêmes ne constituent pas un groupe homogène ; d'où la nécessité d'adapter les pratiques de prise en charge. Compte tenu des risques élevés d'échec virologique, de progression de la maladie, de pharmacorésistance, de restriction des options thérapeutiques et de décès associés à la non-observance du traitement antirétroviral, il est urgent de mettre en œuvre des stratégies innovantes d'aide à l'observance, allant au-delà de l'approche clinique traditionnelle.

La Ruedi Lüthy Foundation a été créée en 2003 par le Professeur Ruedi Lüthy avec, comme objectif, de traiter complètement les personnes souffrant du VIH/sida en Afrique australe. La fondation exploite aujourd’hui la Newlands Clinic ambulatoire à Harare (Zimbabwe) qui traite près de 6500 patientes et patients, ainsi qu’un centre de formation et un centre pour la santé des femmes. Plus d’un quart des patientes et patients ont moins de 25 ans. La Newlands Clinic les soutient sur la voie d’une vie indépendante avec des frais de scolarité, des thérapies de groupe et un programme de formation professionnelle. E-mail www.ruedi-luethy-foundation.ch

 

 

Bahati Kasimonje

Bahati Kasimonje dirige les services psychosociaux de la Newlands Clinic. Elle détient un Master en psychologie et s’engage avec ferveur pour un traitement complet des adolescents et des jeunes adultes touchés par le VIH. Bahati Kasimonje a participé au co-développement des thérapies de groupe EACG.

 

Références