Thèmes et resources
Septembre 2016 -  Thème du mois: Porter assistance aux travailleuses du sexe dans le Corridor
Travailleurs, travailleuses du sexe

Septembre 2016 - Thème du mois: Porter assistance aux travailleuses du sexe dans le Corridor

Un fort besoin de soins, mais un accès très limité aux traitements contre le VIH. Les « populations clés », notamment les professionnelles du sexe et les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, ont à la fois davantage de risques de contracter le VIH et un moins bon accès aux traitements antirétroviraux.

Ceci est dû à leur forte mobilité, aux stigmatisations et des discriminations dont elles sont victimes et, souvent, de leur statut illégal. Des nouveaux médicaments permettent d’empêcher la contraction du VIH au sein de la population séronégative (prophylaxie avant exposition, ou PreP) et constituent une arme prometteuse contre la progression de la pandémie de VIH. Malheureusement, l’accès à ces traitements reste limité dans les zones les plus touchées d’Afrique australe.

En janvier 2014, Médecins sans frontières a lancé avec le projet « Corridor » un programme ambitieux couvrant le Mozambique et le Malawi qui vise à trouver des moyens innovants d’accroître non seulement l’accès aux antirétroviraux (ARV), mais aussi la prise de soins et le PreP au sein des populations clés.

Les PreP ont été lancés en Afrique subsaharienne, où ont un tout autre visage qu’en Occident. Un visage dur, comme celui de Mary.

Mary est Zimbabwéenne mais à Beira au Mozambique. Le matin où nous la rencontrons, elle est assise sur le sol en ciment, devant la pension où elle loge avec une dizaine d’autres travailleuses du sexe. Elle a un bras dans le plâtre. « Qui t’a fait ça ? », demande Edna, éducatrice chez MSF. Elle hausse les épaules. « Mon copain. On s’est disputés. – Tu sais que tu devrais aller à la police, n’est-ce pas ? Il ne peut pas te faire ça. C’est les droits de l’homme. » Haussement d’épaule. « On verra. »

Beira est un port très fréquenté, point de départ et d’arrivée de nombreuses voies de transport de marchandises en Afrique australe. Pour les femmes, c’est là qu’il y a de l’argent à faire, pas dans leurs pauvres villages du Zimbabwe. Enfin, si on peut parler « d’argent » : quand le prix du rapport sexuel peut être aussi bas que 50 meticals (0,75 euro), il leur faut beaucoup de clients pour pouvoir en envoyer à leurs familles. « Les transactions sont purement professionnelles, vous savez, pas le temps d’être romantique. Le type doit être prêt dès le début. S’il ne termine pas rapidement, il paye plus, ou alors tant pis pour lui », raconte Edna.

Il fait nuit, nous traversons les quartiers chauds de Beira. Le premier a l’air pittoresque dans l’obscurité : quelques échoppes de tôle ondulée posées dans le sable se tiennent modestement sous de grands cocotiers. « Ce sont surtout les Mozambiquiennes qui travaillent ici », explique Sandrine Leymarie, responsable MSF du soutien aux patients. Elle pointe vers une pièce ouverte derrière le magasin, au sol jonché de déchets. C’est là qu’ont lieu les transactions sexuelles ; la dure réalité derrière ce quartier à première vue charmant. Plus bas, sur l’Avenida Robert Mugabe, des groupes de femmes aux jupes courtes et chemises décolletées attendent leurs clients ; elles sont principalement Zimbabwéennes. Une étude de 2012 avait recensé 714 professionnelles du sexe à Beira, définies comme des femmes recevant sept clients ou plus par mois. Au cours des dix-huit premiers mois d’activité, le projet de MSF est parvenu à enroller plus de 600 professionnelles grâce à un groupe d’éducateurs, chacun activement engagé auprès de cinquante travailleuses du sexe maximum. Toutefois, si l’on ajoute à ces 714 personnes les femmes qui vendent leurs services sexuels de manière occasionnelle, pour boucler les fins de mois, leur nombre à Beira est probablement de l’ordre de 7 000.

C’est lundi, une soirée calme, et pourtant, le sexe est partout – mais pas les préservatifs ne sont pas faciles d’accès : si MSF ou d’autres ONG n’en distribuent pas gratuitement, les travailleuses du sexe doivent dépenser l’argent gagné auprès des clients pour acheter leur seule protection contre le sida. Pas étonnant dès lors que le virus soit libre de se propager à outrance : trente pour cent des femmes sondées par MSF qui étaient séronégatives au début de l’année dernière avaient contracté le virus douze mois plus tard, le taux de séroconversion le plus élevé enregistré par le projet.

Le manque de préservatifs gratuits et la difficulté à l’imposer au client ne sont qu’un des nombreux obstacles à la prévention du sida chez des femmes pourtant soumises à un risque d’infection très élevé. Ces professionnelles du sexe zimbabwéennes sont particulièrement réticentes à l’idée de se rendre dans des centres de santé par peur de se voir catégorisées comme prostituées, et donc stigmatisées et discriminées. Elles n’ont pas non plus accès aux prophylaxies post-exposition qui leur éviteraient de contracter le VIH suite à un rapport non protégé. C’est pourquoi Gloria, Zimbabwéenne vivant avec le virus depuis plus de dix ans, doit rentrer au pays pour se ravitailler en médicaments, ou se les faire envoyer à Beira par amis ou famille de passage. Comme elle suit son traitement scrupuleusement, sa charge virale est indétectable et, par conséquent, son bébé de huit mois est né sans le virus – grande source de fierté pour elle. Mais ce système d’approvisionnement n’est pas viable pour les centaines de femmes étrangères qui ont besoin d’une protection contre le VIH. « Faut-il donc d’abord soigner le système de santé qui est malade ? », demande Christophe Cristin, coordinateur terrain de MSF à Beira.

Les décideurs politiques et les donateurs sont nombreux à prôner un accès prioritaire à d’ambitieux projets de lutte contre le VIH pour les groupes les plus à risque, car ces derniers ont un rôle essentiel à jouer dans l’enraiement de l’épidémie. Il ne s’agit pas seulement de promouvoir le recours aux préservatifs, mais aussi d’accroître la couverture antirétrovirale encore trop faible à l’heure actuelle. En effet, les ARV réduisent fortement le risque de transmission du virus. Mais comment ce faire ? La question reste ouverte.

Le projet « Corridor » de MSF vise à tester différents moyens d’accroître l’accès et d’améliorer l’observance des traitements. Du Mozambique au Malawi, MSF assiste plus de 3 800 professionnelles du sexe et 4 500 conducteurs de camion (dont bon nombre sont leurs clients) dans le cadre de ces projets. Depuis peu, l’organisation porte également assistance à des hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes, un groupe de personnes particulièrement difficile d’accès du fait des fortes discriminations dont ils font l’objet, et de la criminalisation de leur mode de vie au Malawi, et jusqu’à il y a peu, au Mozambique. Médecins sans frontières vise à assister 200 d’entre eux afin de leur proposer un traitement précoce et de leur assurer des soins adéquats. « Le rêve serait de trouver le moyen d’assurer la continuité des soins pour les groupes les plus vulnérables et les plus mobiles », explique Marc Biot, coordinateur MSF des opérations en Afrique australe.

Toutefois, notre premier obstacle a été de convaincre nos propres équipes locales de travailler avec des populations fortement stigmatisées. À Beira, MSF l’a surmonté en engageant non seulement neuf professionnelles du sexe, mais aussi en tant qu’éducateurs deux hommes de Lambda (seule association mozambicaine d’hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes). Il a été tout aussi difficile de gagner la confiance de ces personnes car, malheureusement, elles sont habituées aux stigmatisations et aux discriminations, et se méfient des acteurs extérieurs. « C’est dur, vous savez. Au début, vous vous faites souvent insulter. Les filles m’appellent à 4 heures du matin si elles ont une question, et se plaignent auprès de mon patron si je ne réponds pas. Mais maintenant, je sais comment m’y prendre et les gérer, ça va bien mieux. Elles ont besoin de nous, vous savez ? », confie Patty Marume, conseillère MSF à Beira.

Gagner la confiance des populations les plus vulnérables demande énormément de temps et de ressources humaines. Qui mieux qu’une éducatrice, elle-même étant ou ayant été professionnelle du sexe, pour comprendre d’où elles viennent, et mimer, en pleine journée et au milieu de la rue, comment insérer un préservatif féminin sous les rires moqueurs de ces femmes qui se préparent à une longue nuit avec une vingtaine de clients ?

« Je suis fière de travailler en tant qu’éducatrice : j’ai le sentiment d’être un bon exemple pour les autres travailleuses du sexe », explique Cecilia Mondar Khanje, éducatrice pour MSF à Zalewa, au Malawi. « Je me fais toujours une joie de pouvoir les aider parce que nous sommes dans le même bateau, je peux me mettre à leur place. Les filles me connaissent, elles m’ont tous les jours à leurs côtés et me font donc davantage confiance qu’à n’importe qui. Et c’est vraiment difficile de gagner leur confiance ! ». (Photo: MSF)

NB : les noms des travailleuses du sexe ont été modifiés.

Auteur : Solenn Honorine, chargée de communication à MSF

Feature Story: Portraits et histoires de Zalewa

References

  • En Afrique subsaharienne, les travailleuses du sexe ont quatorze fois plus de risques de contracter le VIH que le reste de la population ; les hommes homosexuels, dix-neuf fois.