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Feature Story: Portraits et histoires de Zalewa
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Feature Story: Portraits et histoires de Zalewa

Les nouveaux médicaments (prophylaxie avant exposition, ou PreP) permettant d'empêcher la contraction du VIH au sein de la population séronégative. Ils sont une intervention prometteuse qui a ravivé l'activisme des populations clef, particulièrement en Occident. En Afrique du Sud, ces traitements représentent un espoir. Mary et Cecilia témoignent.

Mary

Mary, 35 ans, professionnelle du sexe à Zalewa, au Malawi.

« J’ai commencé à vendre mon corps il y a quatorze ans. J’ai été mariée à l’un de mes clients, mais ça n’a pas duré bien longtemps : il continuait de voir d’autres filles et me maltraitait, il me battait, alors nous avons divorcé. Mes deux enfants, de douze et quatorze ans, sont avec moi à Zalewa. Quand je dois travailler, ils restent avec leur grand-mère. Je ne ramènerais jamais un client à la maison, mes enfants ne doivent pas savoir ce que je fais pour gagner de l’argent. Maintenant, ça va mieux : j’ai acheté un petit magasin dans lequel je vends quelques articles basiques, donc j’ai moins besoin de trouver de l’argent par des relations tarifées qu’auparavant.

En temps normal, les clients me payent 2 000 kwachas (2,5 euros), mais parfois, ils ne m’en donnent que la moitié et je ne peux pas vraiment me permettre de dire non. Je sais aussi que je risque d’attraper le VIH, mais il est parfois très difficile d’imposer le préservatif. Si un client insiste pour le faire sans, je dois parfois accepter car j’ai besoin d’argent.

La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était le mois dernier. Après ça, c’était terrible, j’étais rongée par l’anxiété, j’avais pitié de moi-même et n’arrivais pas à m’enlever l’idée que j’avais attrapé une maladie. J’ai fait le test du sida et, heureusement, j’étais toujours séronégative – ouf ! Je veux vraiment suivre le conseil de mon éducatrice, Cecilia : pas de préservatif, pas de sexe. Avec préservatif, sexe.

Ça nous aide vraiment beaucoup d’avoir des conseillers et des éducateurs qui nous parlent, nous donnent des préservatifs et du lubrifiant. Nous, les professionnelles du sexe, nous leur faisons confiance ; ils sont comme nos anges gardiens, ils nous envoient des messages d’aide. »

 

Cecilia Mondar Khanje

Cecilia, 30 ans, professionnelle du sexe employée par MSF en tant qu’éducatrice sur le VIH à Zalewa, au Malawi.

« Lorsque Médecins sans frontières est arrivé ici en juillet 2014, un conseiller m’a demandé de les aider à approcher les travailleuses du sexe et à lancer leur programme de lutte contre le sida. Je leur ai montré les différents endroits où les filles travaillent à Zalewa et quand MSF a commencé à chercher des éducateurs, ils m’ont choisie. J’ai été formée et ai reçu un diplôme, puis ma mission pour MSF a débuté en juillet 2015.

Zalewa se trouve pile dans l’axe reliant le Malawi avec l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, le Mozambique, etc. C’est une zone de transit : tout le monde passe par Zalewa, en particulier les conducteurs de camion, et ces hommes-là ont beaucoup plus d’argent que les autres. Pour couronner le tout, nous avons une usine de fabrication de moteurs ici, et à partir du mois de mars, de nombreux travailleurs affluent pour la cueillette des mandarines. Donc quand vous êtes professionnelle du sexe, Zalewa est la ville où faire des affaires. Je n’ai pas d’autre moyen de survivre : j’ai deux enfants, de quatre et six ans, suis séparée de mon mari, et dois m’occuper de ma grand-mère qui est malade.

En tant qu’éducatrice, j’aide les équipes de Médecins sans frontières à entrer en contact avec les filles. Si certaines ne prennent pas leur traitement, c’est moi qui va les chercher et les encourage à reprendre les soins. Chaque jour, je leur parle d’hygiène, de maladies sexuellement transmissibles (MST), du dépistage de la tuberculose, etc. Je travaille main dans la main avec le conseiller psychosocial : nous amenons les filles faire le test du sida ; si elles sont séronégatives, nous leur expliquons comment le rester, et si elles sont séropositives, nous les orientons vers la clinique pour suivre un traitement. Elles acceptent de s’y rendre parce qu’elles ont confiance. Ici, les informations sont strictement confidentielles et, contrairement au personnel de la plupart des cliniques, notre staff est ici pour les soigner, pas les juger à cause de leur travail. De plus, elles savent que quiconque les verra prendre leurs médicaments ne pourra connaître la nature de leur emploi, donc qu’il n’y a pas de risque de discrimination. Le fait que tout soit gratuit aide également beaucoup.

Je suis fière de travailler en tant qu’éducatrice : j’ai le sentiment d’être un bon exemple pour les autres travailleuses du sexe. Je me fais toujours une joie de pouvoir les aider parce que nous sommes dans le même bateau, je peux me mettre à leur place. Les filles me connaissent, elles m’ont tous les jours à leurs côtés et me font donc davantage confiance qu’à n’importe qui d’autre. Et c’est vraiment difficile de gagner leur confiance ! Je travaille aussi avec les propriétaires de bars : ils ont mon numéro et me bipent lorsque de nouvelles filles arrivent. Comme ça, je me rends sur place, les rencontre et les sensibilise à la nécessité de rester en bonne santé et de se faire dépister le sida et d’autres MST. Ainsi, elles savent qu’elles peuvent se faire épauler si elles en ont besoin et je les aide à trouver la force de refuser un client qui ne voudrait pas porter de préservatif ». (Photo: MSF)